Prince Bayaya

Fiche technique
Nom originalBajaja
OrigineTchécoslovaquie
Année de production1950
ProductionČeskoslovenský Státní Film, Loutkový Film Praha
AnimationJiří Trnka Studio
Durée75 minutes
Auteur conte Božena Němcová
RéalisationJiří Trnka
ProductionBohumír Buriánek, Vladimír Janovský assistant
ScénariiJiří Trnka, František Braun collaboration, Josef Novák collaboration, Karel Sobotka collaboration
AnimationBřetislav Pojar Bayaya, Jan Karpaš la princesse, Bohuslav Srámek le prince et les chevaliers, Zdeněk Hrabě le roi, Stanislav Látal le fou, František Braun les écuyers
Direction artistiqueJiří Trnka
Direction du sonJosef Zavadil
DécorsFrantišek Braun, Jiří Trnka
MontageHelena Ledbušková, Milena Neubauerová assistante
Direction photographieEmanuel Franek, Ludvík Hájek
MusiquesVáclav Trojan compositeur, Vítězslav Nezval versets, Otakar Pařík chef d'orchestre de l'Orchestre Symphonique du Cinéma, Jan Kühn direction du chœur du Chœur d'enfants Jan Kühn
Diffusions
Arrivée en France (cinéma)13 novembre 1951 (Procinex)
1ère diffusion hertziennejeudi 14 février 1963 (RTF - L'Antenne est à nous)
Rediffusionsjeudi 14 mars 1963 (RTF - L'Antenne est à nous)
Synopsis

Bayaya / Bajaja (première enluminure, 1ère minute)

Par une nuit de clair de lune, alors qu'il vit dans une pauvre chaumière en bois au cœur de la campagne, avec son père qui se morfond sur lui-même des malheurs du passé laissant planer une ombre permanente sur son foyer, un jeune homme entend la voix de sa défunte mère l'appeler et lui apparaître sous la forme d'un petit cheval blanc. Désireuse de se laver de ses pêchés, elle demande à son fils de l'accompagner tout en lui promettant le bonheur futur. Confiant, et souhaitant que l'âme de sa mère repose en paix, le jeune homme laisse l'animal le porter vers sa destinée...

Dans le même temps, en son château, un autre père en la personne du roi s'abandonne lui aussi au désespoir terrifié par le futur et terrible sort attendant ses trois filles ayant atteint leur majorité. En effet, alors que les princesses n'étaient encore que des enfants, le royaume fut mis à feu et à sang par un dragon à trois têtes. Quand le roi qui tenta en vain de le battre lui demanda pourquoi il s'en prenait à un si petit royaume, le dragon lui promit de quitter l'endroit à la condition de lui payer un tribut sous la forme d'une offrande, celle de ses trois filles lorsqu'elles seraient femmes, ce que le roi dans l'urgence de la situation accepta, ses enfants étant encore si jeunes et le temps à venir si éloigné...

Le chemin / Cesta (deuxième enluminure, 11ème minute)

Après une longue route traversant forêts et vergers, le petit cheval s'arrête au pied d'une montagne de rochers, frappe trois fois avec son sabot droit sur celle-ci puis, la roche s'effritant comme par magie au point de créer une ouverture donnant sur une grotte, entre à l'intérieur de celle-ci avec son cavalier, le passage se refermant aussitôt qu'il a été franchi. De l'autre côté se découvre alors un espace verdoyant de hautes plantes où le jeune homme trouve de quoi se vêtir tel un artiste borgne avec son luth pour se présenter, selon le désir de sa mère, à la plus jeune des princesses, fille du roi, celui-là même ayant par le passé cédé au dragon.

Le jeune homme ainsi se fait entendre au pied du château tel un ménestrel et les trois princesses au son de sa voix font de la sorte sa connaissance. Quelque peu amusées par sa présence, et par la sérénade qu'il vient d'adresser à la cadette, elles l'invitent à partager jeux et loisirs auprès d'elles.

Tout va pour le mieux quand le jour fatidique arrive avec le retour du dragon venu chercher son dû, et ce avec deux de ses semblables plus fournis en têtes, les créatures attendant au fond du lac recouvert de ténèbres celles que le petit royaume pour sa survie allait sacrifier. Résignée et pour le bien des autres, l'ainée se prépare à affronter son destin, celui de mourir entre les griffes d'un dragon. Le jeune homme quitte alors le château pour retourner dans la grotte où l'y attend sa mère, le petit cheval lui faisant découvrir, caché dans un coffre, de quoi se vêtir lui et sa monture comme un chevalier et son destrier, une magnifique et indispensable épée complétant l'ensemble. Il s'en va ainsi combattre le monstre sortant du lac et coupant avec sa précieuse épée les trois têtes du dragon sauve la princesse. Il réitère son exploit pour la deuxième princesse offerte au dragon à six têtes et fait de même lorsque la cadette est elle aussi emmenée auprès de la créature à neuf têtes.
Lors de ces terribles affrontements, les princesses ne reconnurent pas leur sauveur qu'elles ne connaissaient qu'au travers de son identité de ménestrel, d'autant qu'il arbora pour chacune d'elle une armure et des couleurs différentes, et la cadette comme les autres ne put remercier son chevalier, celui-ci la saluant fugacement et disparaissant rapidement aussitôt son exploit accompli.

Exhortation / Zaklínání (troisième enluminure, 35ème minute)

Le royaume délivré du mal, nombre de chevaliers prennent alors la direction du château. A leur vue et pour se faire remarquer lui aussi par la princesse, le jeune homme retourne près de sa mère pour à nouveau se transformer en prince. Le petit cheval lui conseille toutefois d'être patient car pour l'heure la princesse n'a de pensées que pour le mystérieux chevalier qui l'a sauvé et non ce qu'il est vraiment ; il doit tout de même parvenir à se faire aimer d'elle afin de délivrer l'âme de sa mère...


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Commentaires

Trnka

Entre 1946 et 1950, outre quelques courts, Jirí Trnka (1912-1969) réalise trois longs-métrages d'animation de marionnettes en stop-motion sur les six qu'il concevra lors de sa carrière artistique (les trois autres seront produits dans les années 50). Il a toutefois débuté dans le domaine de l'image cinématographique peu auparavant en 1945-46 en produisant essentiellement des courts-métrages d'animation en dessins animés au sein du studio des « trois frères dans un seul pull-over » qu'il cocréa : Grand-père a planté une betterave, Les Petits animaux et les brigands, Le Diable à ressort et les SS – la même année que La Révolte des jouets de sa compatriote Hermina Tyrlova qui se moquait elle aussi en son film vivifiant et amusant mêlant prise de vue réelle et stop-motion, sous l'influence du Gulliver d'Alexandre Ptouchko, de ces hommes qui furent des monstres – et Le Cadeau. Ces quatre courts-métrages seront quasiment ses seuls ouvrages d'animation de dessins, technique qu'il ressentait peu en adéquation avec sa perception du temps mais sur laquelle il fera tout de même son apprentissage du cinéma.

Cette relative courte et intense « première période » quant à la forme en volume s'achève ainsi avec Prince Bayaya qui, d'une certaine manière, ponctue ladite période avec la magnificence de son talent à manipuler ainsi des marionnettes dans un temps non défini, ce après en avoir fait de même en temps réel, sur scène, au début de sa carrière artistique dans les années 30 avec Joseph Skupa; son professeur de dessin. Avec ce dernier; il avait déjà participé à la production du court-métrage éducatif sur les ondes électro-acoustiques Všudybylovo Dobrodružství (Les Aventures de Curieux) réalisé en 1936 par le couple Irina Dodalová et Karel Dodal (film mettant en scène Hurvinek, célèbre personnage de marionnette à fils représentant un jeune garçon créé par Skupa et prenant ici vie en stop-motion dans l'introduction puis en dessins animés), cela un an après l'une des premières oeuvres tchèques usant de la technique du volume avec le métrage publicitaireTajemství lucerny (Le Secret de la lanterne) par le même couple Dodal avec Hermina Tyrlova, épouse de Karel Dodal jusqu'en 1932, et quatre ans après que cette même Hermina Tyrlova anima Hurvinek dans « L'Ivresse de Hurvinek », personnage que Trnka animera lui aussi à nouveau en 1955 dans le court-métrage Le Cirque Hurvinek et sur lequel, entre autres marionnettes à fils, il avait créé à ses débuts de nouvelles images au théâtre.

Le volume fut ainsi son moyen d'expression le plus à même de porter sur un écran ses sentiments et réflexions. Mais, malgré cette créativité cinématographique touchant à l'ultime du merveilleux – celui qui conserve une part d'inexpliqué – liant volume et photographie à cette illusion du mouvement et au lyrisme absolu dont il recouvre chaque image, Jirí Trnka se définissait seulement n'être qu'un illustrateur plus qu'un cinéaste. A cet égard, le nombre de livres qu'il a illustré, de l'ordre de la centaine – et autres supports : décors de théâtre, peinture... – tend à aller dans le sens de son propos si l'on voit également en ses films cette sensibilité artistique liée à l'art graphique du dessin. On notera parmi de nombreux albums jeunesse sur lesquels il œuvra, dont certains furent publiés en France dans les années 1960/70 aux éditions Gründ et La Farandole, qu'il illustra le célèbre récit de Jan Karafiát notamment adapté avec la série Lucas et Lucie, univers auquel il donnera forme également en un magnifique diorama. D'ailleurs, sa nature de cinéaste illustrateur se révèle de manière directe en certaines de ses oeuvres comme avec le court-métrage Le Poisson d'or (1951), celui-ci n'étant qu'une suite de dessins fixes toutefois crayonnés avec une tonifiante vigueur et dont seuls quelques mouvements de caméra produisent une certaine animation appuyée par la savoureuse élocution du narrateur Jan Werich.

Finalement; si l'on peut dire, Trnka l'artiste s'est illustré à illustrer le littéraire, la plupart de ses créations adaptant ou s'inspirant de textes classiques ou de contes, à l'image du théâtre de marionnettes dans lequel il donna vie aux pantins, à ses débuts, avec le théâtre de Skupa (prolongeant cette expérience avec son propre théâtre de marionnettes de bois en 1936). Mais plus encore qu'illustrateur, son art touchait à d'autres formes picturales et esthétiques dans une dimension touchant ainsi à tous les arts plastiques.

Prince Bayaya

Jirí Trnka adaptait ici librement, en une seule histoire, deux contes (non traduits en France comme une grande partie de son œuvre) de Božena Nemcová (1820-1862), illustre écrivaine tchèque qui a connu et connaît encore en son pays de nombreuses adaptations de ses écrits sur le petit et le grand écran. Parmi celles-ci, on notera le long-métrage Trois Noisettes pour Cendrillon (1973) de Václav Vorlícek qui fut diffusée en France en décembre 1984 dans la programmation Pour la jeunesse sur FR3 et toujours sur cette même chaîne en 1988 dans l'émission jeunesse Amuse 3.

Les deux contes en question sont Princ Bajaja pour une grande part de la structure du scénario et The Magic Sword (l’Épée enchantée) pour quelques éléments. Du principal conte dont il s'inspire et reprend le titre, Trnka modifie surtout la position sociale du personnage car son prince est au début de son film un simple fils de paysan alors que le conte de Božena Nemcová nous présente celui-ci comme l'enfant d'une reine, né juste avant son frère jumeau, alors que son père le roi est parti guerroyé. Le conte se poursuit ainsi : durant son enfance, le prince ne cesse de jouer à l'extérieur avec un petit cheval qu'on lui a offert alors que son jeune frère reste le plus souvent auprès de sa mère dans le château. Enfin, le roi de retour après sept ans d'absence découvre ses enfants, la reine présentant à son époux le benjamin qu'elle choie plus que l'autre comme étant l'ainé pour ainsi en faire l'héritier du trône. Dix ans plus tard, toujours aussi actif, le jeune prince ainé désirant partir à la découverte du monde confie à son petit cheval ce qu'il ressent de son ennui de vivre depuis toujours en ce royaume. Le petit cheval, qui n'a pas vieilli en dix-sept ans, lui répond alors pour la première fois avec des paroles humaines, lui avouant ainsi sa nature de cheval merveilleux : il lui conseille de partir seul, mais non sans la permission de son père et de le prendre pour monture lors de ce voyage car il lui portera chance. Ayant obtenu l'accord du roi de quitter l'endroit qui l'a vu naître et ce sans une suite pour l'accompagner, et à la suite de chaleureux adieux, il prend la route.
Après avoir parcouru un long chemin, le jeune prince et son ami d'enfance se trouvent en vue d'une ville. Mais avant que d'y pénétrer, le petit cheval traverse quelques sentiers et s'arrête au fond d'un champ devant un gros rocher sur lequel il frappe de son sabot trois fois, le rocher s'ouvrant et laissant découvrir en son intérieur une confortable écurie. Le petit cheval conseille alors au jeune prince d'aller en ville seul, puis de se présenter à la cour en cachant son identité et son statut, et de proposer au roi de le prendre à son service. Dans le cas où il aurait besoin d'aide, il lui suffirait de revenir ici et de frapper trois fois sur le rocher à l'intérieur duquel le petit cheval l'y attendrait. Confiant en son ami, se bandant un œil et se faisant passer pour muet et un peu idiot, le jeune prince réussit par se faire engager par le roi en tant que gestionnaire et scribe, et on vint à l'appeler Bayaya car c'était le seul son qu'il parvenait à émettre.

Le film de Trnka rejoint le conte en cet endroit de son histoire alors que serviteur du roi; le prince fait la connaissance des trois filles de celui-ci – Zdobena, Bubinka et Slavena – avec lesquelles il va se lier d'amitié et avoir quelques précieux sentiments pour Slavena, la plus jeune, ce qu'il lui est difficile à cacher car lorsqu'il leur confectionne tel objet ou leur offre des dessins, ceux qu'il destine à Slavena sont toujours un peu plus beaux que les autres. Mais un jour, le roi apprend à Bayaya qu'une dizaine d'années plus tôt, n'ayant trouvé d'autres solutions, et pour qu'ils cessent de dévaster le royaume et ses ressources, il a promis à trois dragons, l'un à neuf têtes, l'autre dix-huit têtes et l'autre encore vingt-sept têtes, de leur donner ses trois filles quand elles auraient atteint leur majorité, sans rien en dire toutefois à celles-ci pour qu'elles puissent avoir une enfance heureuse, espérant entre temps qu'il trouverait un moyen pour éloigner ce terrible danger (dans le film de Trnka, les dragons ont trois, six et neuf têtes, ce qui est largement suffisant pour transmettre à l'écran une image terrifiante et être plus efficace quant à l'animation de ces têtes juchées sur leur long cou se mêlant les uns les autres).
Le temps ayant hélas passé, les dragons sont revenus et attendent maintenant que leur soit livrée à partir du lendemain une jeune fille par jour, de l'ainé à la cadette. Bayaya rapporte aussitôt tout cela à son petit cheval qui en a déjà connaissance, et pour cause il a guidé le prince en ce royaume afin qu'il prouve son courage face à cette situation. Pour ce faire, il lui donne trois tenues de chevaliers et une puissante épée. Tout en conservant son identité secrète, le prince parvient de la sorte à défaire les trois dragons, mais il lui faut encore combattre avec sa monture en venant en aide au roi qui a rassemblé une armée de nobles et de chevaliers afin de défendre son royaume contre un roi voisin qui lui a déclaré la guerre. Là encore son aide est précieuse et permet la victoire avant qu'il ne s'éclipse comme lors de ses précédents triomphes face aux dragons. Pour remercier les chevaliers l'ayant soutenu et comme il leur avait promis la main de ses filles avant la bataille, le roi, avec l'assentiment de celles-ci qui espéraient tout de même revoir leur mystérieux sauveur, décide de s'en remettre au hasard des pommes d'or que lanceront ses enfants du haut de leur balcon dans le jardin et de voir quels nobles les fruits désigneront ainsi pour époux. Bayaya, le serviteur, qui se trouve alors parmi ces nobles évite par deux fois les fruits lancés par les ainées mais laisse la troisième pomme l'atteindre, faisant de lui le futur époux de Slavena qui refuse cette union car elle a encore à l'esprit le courageux chevalier l'ayant sauvé de la mort et pour qui elle couve des sentiments. Bayaya se présente alors à elle comme celui qu'il est vraiment en lui expliquant que le muet et le chevalier ayant terrassé les dragons ne font qu'un et plus rien ne put les séparer...

Comme on peut le constater, la nature merveilleuse du petit cheval et l'aide qu'il apporte au prince sont deux éléments majeurs du conte qui ont été conservés par Trnka, avec toutefois un traitement lui donnant une dimension nouvelle et hautement plus dramatique puisque le réalisateur fait de cet ami d'enfance à la nature magique inexpliquée un corps porteur de l'âme d'une mère qui va alors aidé son fils afin de s'aider elle-même à s'extraire du purgatoire. De même, si dans le conte, l'animal disparait après que le prince le salue une dernière fois, dans le film, en une scène fortement symbolique, le cheval demande à avoir la tête coupée des mains de son fils pour enfin se libérer de ce qui l'enchaine en ce corps, le prince avec sa belle épée s'exécutant malgré lui, un oiseau s'envolant alors au plus haut des cieux sitôt le geste accompli...
Il est aussi à souligner que si le film emprunte au travers du récit original à la sémantique des contes de fées dont on retrouve les motifs les plus typiques, il présente également le personnage de Bayaya comme une figure christique tuant les trois dragons représentés en certaines images (particulièrement sur les tapisseries du château) avec des éléments liés au diable et, de fait, le prince Bayaya est tel le célèbre saint Georges sur son cheval blanc face au dragon comme rapporté dans La Légende dorée (1266) de Jacques de Voragine.
On pourrait également suggérer de manière particulièrement simpliste que les dragons aux multiples têtes, en cette Tchécoslovaquie soumise alors au régime communiste et au stalinisme, étaient ce mal auquel les créations artistiques comme celle ici cinématographique se devaient d'être soumises comme les filles du roi. Mais Trnka n'était pas comme ce dernier offrant ses marionnettes aux dragons puisque les princesses sauvées laissent supposer que malgré l'atmosphère régnant en son pays, une certaine liberté de création pouvait s'y développer et particulièrement dans le domaine de cette animation. Trnka se permettait tout de même, sans en avoir l'intention première, d'aller dans le sens de ce régime en adaptant une autrice, figure emblématique de la littérature tchèque, fort apprécié par le pouvoir en place. De plus, comme en URSS ou en Pologne, le particularisme de la production du cinéma d'animation par rapport à celle du cinéma en prise de vue réelle permit à cette animation des pays de l'Est de se développer amplement avec une certaine liberté, si bien que lors de l’effondrement du socialisme, elle en souffrit...
On se doit aussi de souligner que le fou du roi est un personnage d'une grande importance dans le film de Trnka : il ne figure pas dans le conte d'origine. C'est en premier lieu lui que l'on aperçoit dès la première image du film (comme dans la dernière) saluant les spectateurs comme si il se savait observé et bien que son statut d'amuseur de la cour ne lui permette pas d'être considéré par celle-ci, et qu'il est relativement peu actif dans l'action, il se montre toutefois d'une grande intelligence et devine dès le premier dragon occis que le jeune homme qui distrait les princesses et le ou les mystérieux chevaliers ne font qu'un. Il est de même un facteur important pour donner du relief aux émotions des personnages qui l'entourent et ses qualités de fin observateur pourrait le rapprocher de son créateur, Trnka lui-même.

Jirí Trnka retrouvera peu après, en 1955, encore un peu de l'imaginaire de Božena Nemcová avec le célèbre personnage du « Cerf à la ramure d'or » et de l'enfant Smolícek issu de l'oeuvre de l'écrivaine – conte traduit en 1999 en français dans 5 contes tchèques aux éditions Gründ et auparavant en 1969 avec Trnka aux illustrations pour Gründ-Artia –, cela en illustrant encore avec raffinement et douceur issue de sa palette de couleurs le récit versifié Zimní pohádky o Smolíckovi signé par le poète tchèque František Hrubín (1910-1971). Avec ce dernier, il illustra d'autres volumes pour la jeunesse comme Špalícek veršu a pohádek (Poésies et contes de fée, de nombreuses fois réédité) ou des albums jeunesse au format italien comme Rikejte si se mnou (1943, traduit en 1954 par les éditions genevoises La Librairie nouvelle sous le titre Bavardons tous les deux) ou Ríkejte si pohádky (1946, traduit en 1954 par les éditions genevoises La Librairie nouvelle sous le titre Des contes et des images), ou encore traduit en français en 1966 aux éditions Gründ Primevère et la Sorcière de l'Hiver.

Comme dans la plupart de ses ouvrages d'animation, les émotions que l'on ressent à la vision de Prince Bayaya sont transmises non pas principalement par les visages des personnages – bien qu'ils affichent tout de même une expression générale de leurs pensées et de leurs sentiments donnant une première note affective à celles du spectateur (visage aux traits d'une grande beauté, plus raffinés encore que sur les deux précédents longs-métrages de Trnka) –, mais plus particulièrement par la gestuelle des marionnettes faisant de ce langage visuel en mouvement une véritable symphonie poétique dont la musique peut être entendue de tous. Ainsi, non seulement les poupées sont animées (comme n'importe quel personnage de dessins animés pourrait-on dire), mais ces mouvements donnant vie à l'être de fiction sont en plus chez Trnka illuminés d'une chorégraphie d'une délicatesse absolue. Cette dernière est de fait tel un vocabulaire se déployant dans l'espace scénique et s'adressant aux spectateurs car comme dans la plupart des travaux en volume de Trnka, les personnages de Prince Bayaya ne prennent point la parole. Toutefois, si dialogue il n'y a pas, les chants d'une délicieuse beauté musicale qui égrènent tout le long le métrage permettent de comprendre l'histoire qui se laisse ainsi feuilleter, le film étant à cet effet découpé en plusieurs chapitres qui se présentent, tel le titre principal du métrage, comme en une page avec un titre dont la première lettre apparaît en une lettrine enluminée, ce dans le pur style des enluminures du Moyen Âge, époque où se déroule évidemment l'action de Prince Bayaya. Concernant encore le chant, les versets interprétés par le Chœur d'enfants Jan Kühn ont été écrits par le grand poète tchèque Vítezslav Nezval (1900-1958) pour lequel Trnka illustra quelques recueils pour la jeunesse.
A propos encore des visages des marionnettes évoqués plus haut, bien qu'affichant telle expression, on se doit de préciser qu'ils sont statiques, les traits, les yeux, ou la bouche étant dessinés et peints sans le moindre artifice de mouvement, si ce n'est lorsque l'on remplace la tête par une autre pour passer par exemple d'un visage neutre à celui d'un visage souriant – à l'opposé des maîtres allemands en la matière, les frères Diehl qui près de vingt ans plus tôt animaient les bouches de leurs marionnettes quand le personnage parlait, et comme le faisait également Ladislas Starewitch. Cet esthétique des visages chez Trnka était relativement naturel puisque ses personnages n'avaient que peu de paroles à prononcer, et quand bien même, il pourrait y avoir plus de merveilleux à ressentir dans une marionnette au visage peint qu'en celle dont on tente trop d'animer celui-ci (c'est un peu comme l'animation en 2D qui laisse respirer l'imagination alors que la 3D tente de l'étouffer comme elle le fait aussi avec le volume). De plus, ce n'est pas un particularisme de l'artiste car c'est également une caractéristique relativement forte de l'école tchèque et au-delà des pays de l'Est ou encore du Japon, cela étant aussi lié à la manière d'aborder et de conter une histoire en cette technique d'animation.
On soulignera tout de même qu'un unique personnage fait entendre sa voix dans Prince Bayaya, celui de la mère du jeune héros au travers du petit cheval, son âme occupant ce corps depuis sa mort et son passage au purgatoire ; c'est donc une voix venant de l'au-delà qui est la seule que l'on peut entendre au travers d'un personnage en cette histoire, qui plus est ce personnage étant visuellement un animal que l'on rencontre en de nombreux contes tchèques et slovaques sur le thème du cheval merveilleux. Parmi les récurrences en ces contes, on peut noté celui ukrainien (époque Petite Russie) de la sorcière hynzibaba, belle-mère de trois dragons tués par le héros puis elle-même vaincue par celui-ci et transformée en jument.
Concernant encore cette délicatesse absolue précédemment évoquée, de cette délicatesse des mouvements des personnages et délicatesse même dans les plis et les vagues des tissus des marionnettes ou des drapés et autres étendards gonflés par le vent, ces plis et vagues étant tenus par une armature de fins fils de plomb transformant la matière textile en une douce poésie pleine de légèreté, elle transmet une émotion au-delà de celle-ci touchant à des sentiments si profonds qu'il est difficile de les identifier comme tel. En ce sens Trnka atteint là avec cet ouvrage comme la perfection en son art qu'il ne cessera de sublimer...
De même, si Trnka excelle à l'animation de ses personnages, il maîtrise également et magistralement les scènes où ils ne font aucun mouvement (ce qu'il pensait ne pas être vraiment réalisable avec l'animation de dessins animés qui a besoin un tant soit peu et en une certaine mesure de ce mouvement pour exister). Deux scènes relativement similaires de Prince Bayaya sont particulièrement intéressantes dans cette perspective où le personnage reste immobile et malgré tout semble animé d'une intense vibration existentielle : il s'agit de la scène au début du film où l'âme de la mère du jeune homme se montre à lui sous la forme du petit cheval ainsi que celle correspondant à la troisième enluminure intitulée Exhortation / Zaklínání où le jeune homme retourne près de sa mère pour à nouveau se transformer en chevalier. En effet, quand le petit cheval se met à lui parler et le conseiller sur ce qu'il doit faire s'il veut trouver le bonheur et sauver l'âme de sa mère, celle-ci le regarde intensément de son œil droit de cheval, sans bouger, l'image et le sujet de celle-ci restant immobile si ce n'est que la caméra se rapproche très doucement de ce regard et qu'autour l'air semble réagir comme en une sorte de résonance. La marionnette plus que le dessin permet de créer de la sorte comme une atmosphère autour du personnage et de continuer à procurer à celui-ci comme un mouvement malgré son immobilisme. Malgré tout, l'animation de dessins animés parvient à toucher parfois à cet effet, du moins s'y essaie, et l'on pourrait comparer cette scène à celle du long-métrage d'animation lamuesque Un rêve sans fin (1984) de Mamoru Oshii lorsque Mlle Sakura, après avoir découvert le professeur Onsen dans son appartement recouvert de moisissures, converse avec lui sur les étranges phénomènes qu'ils observent depuis le lancement des préparatifs du festival de l'école, cette scène se terminant sur Mlle Sakura, le visage fixe, la caméra s'avançant lentement sur elle dont le regard empli d'une intense réflexion semble émettre comme une aura autour de son corps.

Quant à la musique de Václav Trojan (1907-1983), elle offre un merveilleux accompagnement sonore recouvrant le corps des marionnettes et les décors d'un ornement supplémentaire – pour reprendre le terme de Chris Marker désignant l'ouvrage de Jirí Trnka – et magnifie encore l'image faisant du conte une pièce d'un onirisme à la fois subtile et absolu, le rêve étant proche de l'état du jeune homme au début du film lorsqu'il tente de dormir avant que sa mère ne lui apparaisse... comme en un songe. Ce compositeur tchèque, un peu moins connu que ses compatriotes tels Dvorák, Smetana ou Janácek aura néanmoins été remarqué à l'international au travers de ses fabuleuses collaborations avec Jirí Trnka apportant à celui-ci un univers musical d'une grande richesse.
Václav Trojan accompagna Trnka en ses ouvrages d'animation de 1945 à 1965, de fait sur les six longs-métrages de l'artiste, comme alors parmi d'autres fidèles collaborateurs de Trnka tel Bretislav Pojar (1923-2012) qui animait ici le prince Bayaya et qui deviendra lui aussi un grand réalisateur.

Trente-deux ans plus tard, en 1982, le Jirí Trnka Studio concevra le court-métrage Le prince serpent / Hadí princ réalisé par Zdenek Vinš. Moins impressionnant quant à sa qualité d'animation et de réalisation, ainsi que son histoire plus légère mais toutefois fort agréable à suivre, on peut ressentir à sa vue comme quelques échos au Bayaya de Trnka – du moins si on les ressent comme tels – de par notamment à la vue du plan large sur le château, mais aussi au travers du choix que le prince doit faire pour prendre une épouse parmi trois prétendantes qui l'indiffèrent, ainsi que sa transformation en serpent comme en un autre conte de Božena Nemcová (Le Serpent blanc). Évidemment ce rapprochement est plus que léger mais cela permet de souligner qu'il y eut une autre adaptation de l'histoire du prince Bayaya, ce en prise de vue réelle au cinéma en 1971 par Antonin Kachlik avec dans le rôle du prince Ivan Palúch (en France, on a pu apercevoir cet acteur dans le film Madame Holle / Perinbaba réalisé en 1985 par Juraj Jakubisko et diffusé sur Canal J en 1993 et 1997).

Enfin, concernant l'exploitation française de ce chef-d’œuvre universel : le film Prince Bayaya est sorti au cinéma en France le 13 novembre 1951, quatre mois après la sortie française du précédent long ouvrage cinématographique de Jirí Trnka, à savoir son deuxième grand métrage Le Rossignol de l'empereur de Chine / Císaruv slavík (1948) diffusé dans l'Hexagone à partir du 4 juillet 1951 (Prince Bayaya fut projeté une première fois en France en juin 1951 aux Journées du Cinéma de Carcassonne, cinq mois après sa sortie en son pays le 26 janvier). Pour son adaptation française, si le Le Rossignol de l'empereur de Chine bénéficia à la narration de l'histoire de la plume et de la voix de Jean Cocteau, Prince Bayaya se vit offrir pour celle-ci la collaboration de Chris Marker (1921-2012) qui, de plus, signa un court texte faisant l'éloge de ce volume et du temps qui en est l'un des ornements dans Les Cahiers du cinéma en janvier 1952. Contrairement au Rossignol de l'empereur de Chine, il fut sous-titré en français car la narration de l'histoire était en grande partie contée sous la forme des chants interprétés par le Chœur d'enfants Jan Kühn qu'il aurait été plus que désolant de remplacer tellement il offrait à l'image une lumière supplémentaire comme il le fera encore, et toujours accompagné de l'Orchestre Symphonique du Cinéma dirigé par Otakar Parík sur le long métrage suivant de Trnka, à savoir Les Vieilles légendes tchèques / Staré povesti ceské (1952), sans toutefois servir la narration en ce dernier qui était le fait de plusieurs voix-off pour les sept légendes contées renvoyant aux mythes fondateurs du pays.
Quant à sa première diffusion française télévisée le jeudi 14 février 1963 à 17h20 dans la plage horaire de l'émission jeunesse L'Antenne est à nous, elle fut suivie un mois plus tard par une rediffusion de l'oeuvre sur la même et unique chaîne française d'alors, ce le 14 mars 1963, à nouveau un jeudi, jour de repos des écoliers, à la même heure et dans le même cadre. Depuis, malgré la multiplication des chaînes (à moins que cela en soit la cause), ce long-métrage comme les autres du cinéaste, ne semble pas avoir eu l'occasion d'illuminer à nouveau les téléviseurs de l'Hexagone.

Auteur : Captain Jack
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Bajaja © Ceskoslovenský Státní Film, Loutkový Film Praha
Fiche publiée le 08 avril 2018 - Dernière modification le 02 novembre 2022 - Lue 6720 fois